D’une grande île de l’Océan.
Extrait de :
HISTOIRE UNIVERSELLE DE DIODORE DE SICILE
traduite en français par Monsieur l’Abbé TERRASSON
Tome second
Paris 1744
“UN HISTORIEN doit travailler sérieusement à acquérir toutes les qualités nécessaires à un bon écrivain.” D. DE SICILE
XV. D’une grande île de l’Océan. L’auteur ne donne point de nom à cette île mais on voit que c’est l’île Atlantide de Platon.
APRÈS avoir parlé des îles de la Méditerranée nous allons parcourir celles qui sont dans l’Océan et au-delà des colonnes d’Hercule.
Á l’occident de l’Afrique on trouve une île distante de cette partie du monde de plusieurs journées de navigation. Son terroir fertile est entrecoupé de montagnes et de vallées. Cette île est traversée par plusieurs fleuves navigables. Ses jardins sont remplis de toutes sortes d’arbres et arrosés par des sources d’eau douce.
On y voit quantité de maisons de plaisance, toutes meublées magnifiquement, et dont les parterres sont ornés de berceaux couverts de fleurs. C’est là que les habitants du pays se retirent pendant l’été, pour y jouir des biens que la campagne leur fournit en abondance. Les montagnes de cette île sont couvertes d’épaisses forêts d’arbres fruitiers, et ses vallons sont entrecoupés par des sources d’eaux vives qui contribuent non seulement au plaisir des insulaires, mais encore à leur santé et à leur force. La chasse leur fournit un nombre infini d’animaux différents qui ne leur laisse rien à désirer dans leurs festins ni pour l’abondance ni pour la délicatesse.
Outre cela, la mer qui environne cette île, est féconde en poissons de toute espèce, ce qui est une propriété générale de l’océan. D’ailleurs, on respire là un air si tempéré que les arbres portent des fruits et des feuilles pendant la plus grande partie de l’année. En un mot, cette île est si délicieuse qu’elle paraît plutôt le séjour des dieux que des hommes.
Autrefois, elle était inconnue à cause de son grand éloignement, et les Phéniciens furent les premiers qui la découvrirent. Ils étaient de tout temps en possession de trafiquer dans toutes les mers, ce qui leur donna lieu d’établir plusieurs colonies dans l’Afrique et dans les pays occidentaux de l’Europe. Tout leur succédant à souhait et étant devenus extrêmement puissants, ils tentèrent de passer les colonnes d’Hercule et d’entrer dans l’océan.
Ils bâtirent d’abord une ville dans une presqu’île de l’Europe voisine des colonnes d’Hercule, et ils l’appelèrent Cadix. Ils y construisirent tous les édifices qu’ils jugèrent convenables au lieu. Entre autres ils y élevèrent un temple superbe qu’ils dédièrent à Hercule, où ils instituèrent de pompeux sacrifices à la manière de leur pays.
Ce temple est encore à présent en fort grande vénération. Plusieurs Romains que leurs exploits ont rendu illustres y sont venus rendre hommage à Hercule du succès de leurs entreprises. Au reste, les Phéniciens ayant passé le détroit et voguant le long de l’Afrique, furent portés par les vents fort loin dans l’océan. La tempête ayant duré plusieurs jours, ils furent enfin jetés dans l’île dont nous parlons.Ayant connu les premiers sa beauté et sa fertilité, ils la firent connaître aux autres nations.
Les Toscans, devenus les maîtres de la mer, voulurent aussi y envoyer une colonie, mais ils en furent empêchés par les Carthaginois. Ces derniers craignaient déjà qu’un trop grand nombre de leurs compatriotes, attirés par les charmes de ce nouveau pays, ne désertassent leur patrie. D’un autre côté, ils le regardaient comme un asile pour eux, si jamais il arrivait quelque désastre à la ville de Carthage.
Car ils espéraient, qu’étant maîtres de la mer, comme ils l’étaient alors, ils pourraient aisément se retirer dans cette île, sans que leurs vainqueurs qui ignoreraient sa situation pussent aller les inquiéter là. Revenons maintenant en Europe.