extrait du site : Le Quotidien d’Oran
Qu’est-ce qu’il y a de commun entre l’Atlantide, ce continent mystérieux disparu il y a des milliers d’années dans une terrible catastrophe naturelle, le Maghreb, que nous tous connaissons, et le Symposium d’El-Oued, organisé par la MDI, qui, chaque année, réunit sous la présidence de M. Djilali Mehri des hommes d’affaires et des économistes’ Apparemment pas grand-chose, mais si vous me suivez, vous verrez qu’un certain lien pourrait exister.
Naissance de l’Atlantide
Commençons par l’Atlantide. Pour ceux qui en ignorent l’histoire, je résume ici le récit qu’en fait son auteur, le philosophe grec Platon, mort en 347 av.J.C., dans deux de ses «Dialogues». Le personnage que raconte l’histoire est un Athénien, Critias, qui dit l’avoir entendue de son grand-père, qui l’avait à son tour entendue du grand législateur Solon, mort deux siècles plus tôt, à qui elle avait été révélée par des prêtres égyptiens.
Neuf mille ans auparavant, existait une île immense, «plus grande que la Libye et l’Asie réunies», située au-delà des Colonnes d’Hercule (qu’on identifie habituellement avec le détroit de Gibraltar). Les hommes qui l’habitaient provenaient de l’union du dieu de la mer, Poséidon, avec une mortelle. Les dix fils qui naquirent de cette union furent les rois des dix parties de cette terre, le pouvoir suprême étant réservé au premier né.
De génération en génération, l’Atlantide devint immensément riche. L’île était sillonnée par des canaux enjambés par des ponts, le sol était fertile, les animaux domestiques et sauvages nombreux, les gisements de minerais particulièrement abondants. Dans le centre de la ville principale, dédiée à Poséidon, s’élevait un temple grandiose à l’intérieur duquel se trouvait la statue d’or du dieu.
Les Atlantes étaient une race conquérante qui avait soumis, guerre après guerre, toutes les populations du bassin occidental de la Méditerranée. Mais après des siècles de sage administration régie par une royauté juste et héréditaire, l’Atlantide tomba en décadence. Elle s’engagea alors dans un conflit contre Athènes, subissant de graves défaites. Et c’est alors qu’un cataclysme gigantesque se déchaîna, détruisant les deux armées et engloutissant pour toujours l’Atlantide sous la mer. C’était un tremblement de terre suivi par un raz de marée ? Une éruption volcanique ou la chute d’une météorite ?
Est-ce que l’Atlantide a vraiment existé ?
Est-ce que l’histoire que nous raconte Platon est vraie ? Ou cette Atlantide n’est rien d’autre qu’une invention, une sorte de parabole politique que Platon aurait imaginée afin de démontrer que tout gouvernement perverti par la décadence des mœurs est destiné à la catastrophe ?
Cette question a agité les esprits pendant des siècles. Il faut dire que Platon a donné tellement de détails sur l’Atlantide pour qu’elle nous apparaisse comme visible: les descriptions géographiques sont précises, les richesses naturelles de l’île détaillées, même la largeur des canaux est calculée. Rien d’étonnant donc qu’on ait très vite commencé à croire à l’existence réelle de l’Atlantide.
Le premier texte de l’époque moderne qui reprend l’histoire de Platon fut écrit par l’humaniste italien Marsilio Ficino en 1485, et depuis lors les vannes sont ouvertes. Rédiger seulement la liste des hypothèses qui ont été faites autour de l’Atlantide occuperait non seulement cette page mais probablement tout le numéro du Quotidien d’Oran d’aujourd’hui.
Quelques exemples ? Accrochez-vous bien parce que suivre les localisations de l’Atlantide risque de faire attraper la danse de Saint-Guy.
Commençons par la plus évidente: Platon la place au-delà des Colonnes d’Hercule, donc l’Atlantide ne peut être qu’une très grande île dans l’Océan Atlantique. Les Canaries et les Açores seraient les pointes émergées de ce continent englouti par la mer. Solution trop facile pour certains. L’ethnologue allemand Frobenius, vers 1910, étudiant des traditions locales au pays Yorouba, estime avoir trouvé l’Atlantide en Afrique, dans la région qui se situe entre le fleuve Niger et l’Océan Atlantique. On quitte le Golfe de Guinée pour repartir vers le nord jusqu’à l’embouchure du fleuve Guadalquivir, sur la côte atlantique de l’Espagne, là où se trouvait la ville de Tartessos, fondée par les Phéniciens. C’est là qu’il faut chercher l’Atlantide ! Comme le soutient l’archéologue Schulten.
Et si Platon, lorsqu’il mentionnait les Colonnes d’Hercule, ne se référait pas au détroit de Gibraltar, mais à un autre lieu se trouvant en Méditerranée ? Cela ouvre la voie à bien d’autres hypothèses. En premier lieu, à celle qui vise l’île grecque de Santorin, en pleine mer Egée, qui justement aurait sombré à cause d’une terrible explosion volcanique. Mais si, supposent certains, l’Atlantide était plutôt à identifier avec la ville de Troie ? Pas du tout, contestent d’autres, l’Atlantide se trouvait à l’intérieur de la Grèce, au milieu d’un lac.
Pour en finir, je vous délivre la toute dernière théorie surgie de l’imagination d’un de mes compatriotes: tout le monde se trompe parce que l’île Atlantide était la Sardaigne !
Et le Maghreb, me diriez-vous à ce point. Patience, on va y arriver.
Délires
J’ai évoqué jusqu’ici des thèses de chercheurs dotés parfois d’un peu trop de fantaisie, mais au fond raisonnables. Mais comment pourrais-je passer sous silence les innombrables thèses extravagantes qui ont foisonné autour de l’Atlantide ? En effet, un véritable vent de folie a soufflé à partir du continent perdu, échevelant encore plus les idées déjà passablement embrouillées d’un grand nombre de théosophes, gnostiques et occultistes de tout poil.
Je vais essayer de vous expliquer pourquoi ce groupe pittoresque s’intéresse tellement à l’Atlantide.
En général, nous croyons que chaque grand groupe humain a forgé sa propre civilisation, ce qui n’exclut pas, bien évidemment, contacts et influence avec d’autres civilisations. Ce n’est pas l’avis de théosophes: ils estiment que l’humanité entière s’est développée à partir d’une seule et unique civilisation primordiale, supérieure mais aujourd’hui disparue. Voilà pourquoi il y des ressemblances entre pyramides égyptiennes et pyramides mayas, des similitudes entre inscriptions suédoises et graffitis de la Nouvelle-Zélande, ou des analogies entre rites des chamans de la Sibérie et pratiques d’envoûtement pratiquées par des sorciers congolais. Tout cela est le produit de l’émigration dans les quatre coins du monde d’un seul et unique peuple dont les origines, bien évidemment, sont à rechercher en Atlantide !
Mais il n’y a pas que ça. Les Atlantes, d’après les occultistes, étaient aussi les dépositaires d’une culture supérieure, très avancée, et ils auraient maîtrisé tous les savoirs, atteignant des niveaux de connaissances que nous sommes bien loin de posséder. Certains affirment même que les Atlantes pouvaient même voler au-dessous de l’océan !
Plongeons-nous pendant un moment dans ce monde de surexcités. Hörbirger, dans les années 20, développe un théorie particulièrement complexe: il y a des dizaines de milliers d’années, une lune tournait si près de la Terre que sa force d’attraction provoquait un gonflement des eaux dans la zone équatoriale. Mais à la fin, cette lune tomba sur la terre, provoquant d’un côté un raz de marée (le fameux déluge universel), mais faisant en même temps disparaître ce bourrelet d’eau équatorial. Un nouveau continent put ainsi être mis au sec: et voilà l’Atlantide. Malheureusement, une autre lune, celle que nous voyons toutes les nuits dans le ciel, s’approcha de la terre, provoquant un retour des eaux en zone équatoriale: ce fut un désastre pour l’Atlantide, qui fut à nouveau submergée pour toujours.
Certains n’aiment pas le fameux dicton «la lumière est venue de l’Orient». L’Atlantide, source de tous les savoirs, ne pourrait donc se trouver que dans des zones froides, nordiques, mieux, tout près du pôle, dans le Groenland par exemple. Le savant suédois Rudbek, né en 1630, avait été un précurseur dans ce domaine, affirmant que l’Atlantide était en réalité la Suède.
J’avais dit que certains considéraient l’Atlantide comme le lieu d’origine d’un peuple supérieur: une excellente occasion pour donner corps à quelques délires racistes. D’après un auteur allemand au nom presque imprononçable de Zschaetzsch (1920), l’Atlantide était la terre des Aryens, lesquels, «avant la catastrophe, ne se nourrissaient que de plantes qu’ils choisissaient très soigneusement parmi les espèces salutaires». Malheureusement, après le désastre, les Atlantides se mêlèrent à de métis, à des non-aryens et attrapèrent la mauvaise habitude de manger de la viande, «ce qui les fit souffrir de maux de ventre et leur fit juger opportun d’en restreindre ou supprimer les usages». Bien évidemment, ce fut une non-aryenne, une hypothétique Heid, qui répandit parmi ces Atlantes dégénérés les «boissons enivrantes» dont elle connaissait le secret de fabrication. Tiens, maintenant que j’y pense, Hitler n’était-il pas végétarien et fort sobre ?
Si vous êtes gourmand et qu’une Atlantide ne vous suffit pas, je vous conseille l’étude de Joseph Karst (nous sommes encore dans les années 30), qui suppose l’existence de deux Atlantides: une, plus primitive, située bien évidemment plus ou moins devant l’Ethiopie, et une autre, plus évoluée, entre la Sicile et l’Afrique du Nord (quand même !).
Et pour terminer, du roman à la manière des films de Indiana Jones. Un petit neveu de Schliemann, le riche archéologue amateur qui mit à jour la ville de Troie, découvre dans un vase à tête de chouette une enveloppe cachetée dans laquelle se trouvait un papier secret de son grand-père. Sur la base de ces indications venant d’outre-tombe, il entreprend des recherches en Egypte, traduit des manuscrits mayas, exhume des documents archivés dans un très ancien monastère bouddhiste au Tibet. Et alors, quel a été le résultat de toutes ces recherches ? Où se trouve enfin l’Atlantide ? L’auteur nous réplique: «Si je devais dire tout ce que je sais, il n’y aurait plus de mystère !». Pas mal trouvé comme réponse.
Et le Maghreb et le Symposium d’El-Oued dans tout ça ? On y arrive.
Et si l’Atlantide se trouvait quelque part dans le Maghreb’
Qui lit encore les romans démodés de Pierre Benoît ? Très peu de monde probablement, mais sûrement certains d’entre vous ont eu l’occasion de voir à la télévision l’une ou l’autre des neuf versions cinématographiques de son roman «L’Atlantide» Il faut dire que le personnage de la protagoniste du roman, la princesse Antinéa, dernière descendante des antiques Atlantes, qui attirait dans son palais du Hoggar les voyageurs pour les enivrer d’amour, les tuer et collectionner leurs momies, ne manque pas d’une certaine fascination maléfique. Mais que faisait la reine des Atlantes, terrée au fin fond du désert algérien ?
Il faut dire que parmi les hypothèses de localisation de l’Atlantide, il existe un filon assez important qui place cette terre mystérieuse quelque part dans la région qui va, grosso modo, de la Tunisie jusqu’à la côte Atlantique du Maroc. Cette vision semble avoir particulièrement fasciné les Français: il existait même, dans les années 30, une «Société Atlantis», installée à Vincennes, à qui nous devons la rédaction d’une bibliographie sur le thème «Atlantide et Afrique du Nord», riche déjà à l’époque de 1.700 ouvrages sur ce thème !
Il semble qu’un certain Godron ait été parmi les premiers à voir localisé dans le Sahara l’emplacement de l’Atlantide, et ceci dans un livre publié en 1868, que je n’ai malheureusement pas pu consulter. Une vingtaine d’années plus tard, le géographe Etienne-Félix Berlioux précisa que le site de l’Atlantide se trouvait plutôt dans la région des monts Atlas. Les Atlantes, d’après Berlioux, n’étaient pas des populations autochtones, mais des farouches tribus celtiques (ah, toujours ces mythes nordiques !) qui auraient progressivement conquis le bassin du Haut-Sénégal, l’Espagne, l’Italie et les Iles Britanniques. Les hommes à la peau et aux yeux clairs qu’on trouve dans la région montagneuse de l’Afrique du Nord ne seraient donc, d’après Berlioux, que les actuels descendants des anciens Atlantes. Enfin, la fameuse île dont parle Platon, détruite par une catastrophe naturelle, était placée dans l’estuaire de l’oued Draâ, dans le sud du Maroc (J’ai visité le site mais je n’ai rien vu).
Les Espagnols Fernandez Gonzalez et Saavedra partagent ce placement de l’Atlantide au Maroc et ils affirment même que les Iles Canaries ne seraient que ce qui reste de la partie de l’Atlantide submergée par la catastrophe.
Un comte français, au nom assez improbable de Byron Cuhn de Prorok, n’est pas du même avis. Dans une communication faite à l’Académie des Sciences de Paris, il ramène l’Atlantide en Algérie. Les traces humaines préhistoriques démontrent sans faille que c’est dans le sable du Sahara qu’il faut rechercher la ville perdue.
Claude Roux, en 1926, corrobore cette thèse en trouvant même des ressemblances entre des graffitis sahariens et les fort douteuses inscriptions préhistoriques trouvées à Glozel, un petit hameau dans le Bourbonnais en France. Il en déduit que les Atlantes avaient étendu leur empire de l’Algérie jusqu’au nord de la France.
Pour le géologue Borchart (un Allemand malgré son nom français), c’est en Tunisie qu’il faut situer l’Atlantide, précisément au centre du chott El-Hameina, un petit lac salé à quelques kilomètres à l’intérieur de la côte, pas loin de la frontière algérienne. Ce lac aurait été relié à la mer par un canal, mais un grand tremblement de terre aurait fait disparaître le lac salé et le canal sous le sable, mettant ainsi fin à la prospérité de l’Atlantide.
Significatif pour Borchart est le fait que la population locale s’appelle les Béni Hammama (au moins au temps de Borchart). Dans le dialecte libre arbitre, leur nom deviendrait At-tala et le lac salé deviendrait ainsi la mer des At-tala, donc des Atlantes. (Je ne garantis pas l’exactitude des noms et des traductions: j’attends du courrier contestataire à ce sujet).
Borchard se trompe, affirme péremptoirement un de ses compatriotes, l’archéologue Herman, c’est plutôt dans le chott El-Djerid qu’il faut chercher l’Atlantide, et plus précisément dans la petite oasis de Rhelissia (introuvable sur mes cartes géographiques).
En conclusion, l’Atlantide se serait trouvée en Tunisie, en Algérie ou au Maroc ?
Au fond, je préfère l’incertitude. En effet, au moment où vous me lisez, je suis à El-Oued, dans la belle résidence Eddhaouia de M. Mehri, qui se trouve à une centaine de kilomètres à vol d’oiseau des lieux identifiés par Herman et par Borchard comme les site de l’Atlantide. Je me trouve ici parce que je participe au quatrième Symposium international d’El-Oued, auquel, cette année, sont invités des Tunisiens, des Marocains et des Algériens. On parlera d’économie et d’affaires, mais un peu de fantaisie ne fait jamais mal.
Dans un conteste de guerres et de conquêtes commerciales, il m’a paru de bon augure de faire découvrir à mes amis maghrébins – ou le rappeler à ceux qui le savaient déjà – qu’ils pourraient être les descendants du grand peuple des Atlantes, et que leurs ancêtres, d’après certains, auraient dominé tout le Bassin méditerranéen et seraient même arrivés dans le nord de l’Europe, en Afrique et même en Amérique.
Je ne sais pas ce qu’ils en pensent, mais je trouve que l’idée d’appartenir à une telle race de conquérants devrait leur donner du cœur pour les affaires et en tout cas être de bons auspices pour leur politique d’exportation.
Bonne chance donc !
Par Lucio Guerrato Ambassadeur De l’Union Européenne En Algérie
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