C’est enfin l’été ; Joséphine a décidé de déménager de son petit appartement en pleine agglomération. Elle espère pouvoir trouver un endroit paisible pour ses vacances. Elle veut surtout être loin de son lieu de travail, de ses amis et de sa famille. Elle a traversé de dures épreuves qui l’ont endurcie. Elle n’est plus la petite fille que toutes les personnes de son entourage ont connu. Joséphine est maintenant une femme qui désire suivre son propre chemin. Cependant même si elle a ce désir fugitif, le moment de les quitter lui a arraché beaucoup de larmes d’enfant. Dans le train en direction de l’Espagne, Joséphine semble tout à coup mélancolique. Elle regarde les silhouettes de ses proches s’éloigner à travers la
fenêtre de son compartiment. Après plusieurs minutes qui suivent le départ du train, Joséphine sort un vieux livre de sa seule petite valise de cuir noir, héritée de sa grand-mère.
Au bout de quelques heures de lecture, la jeune fille s’endort. Elle se réveille brusquement avec une douleur au niveau de la tête. Elle se rend alors compte
avec horreur qu’elle n’a plus ni sa valise, ni ses vêtements. Elle porte sur elle seulement une robe blanche tout en dentelle, et se trouve au milieu d’une forêt!cet endroit inconnu lui donne des frissons, et même en tournant ses yeux vers tous les horizons, elle n’arrive toujours pas à calmer ses tremblements. Devant elle se trouve un énorme menhir et une montagne qui semble limiter la forêt. Soudain un bruit étrange derrière elle l’oblige à se retourner : elle aperçoit une lumière luisante provenant de l’embouchure d’une grotte. Curieuse, elle décide d’aller à sa rencontre. Au fur et à mesure que l’innocente avance, caressant les murs de granit, ses pieds balayent les ossements posés sur le sol caillouteux. En serpentant la galerie, elle finit par arriver dans une immense tanière. Son regard est tout de suite attiré par l’existence d’une fenêtre éclairant faiblement le sol du plafond. Ses yeux se focalisent soudain, en direction de la lumière, sur une tête monstrueuse qui dort paisiblement sur une pierre. Son corps s’immobilise ; ses cheveux se dressent, son regard se fige sous la vue de l’énorme bête, qui veille allongée à ses pieds. Elle devient silencieuse et se fond ainsi avec l’environnement de pierre. La pauvre n’ose plus bouger d’un centimètre, de peur que le fauve ne se réveille. Elle recommence à frissonner de tout son être et se met enfin à réaliser la situation. Elle est seule,
pratiquement nue sous cette robe de soie et de dentelle, et se situe au seuil de l’antre d’une bête sauvage. Enfin l’aube paraît ; la lumière du soleil pâlie encore sur la carrure du monstre. Un grondement surgit de la gueule de la bête, dont la tête se lève. La créature sniffe l’odeur de la jeune fille et son regard se tourne brusquement vers celui de Joséphine. Les deux êtres restent un moment, les yeux dans les yeux. La créature se révèle être un lion majestueux, assit sur son trône de pierre, couronnée de son impressionnante crinière. Même devant cette attente
inespérée, Joséphine est toujours terrifiée à l’idée d’être la proie d’un animal aussi féroce. Elle lit dans le regard profond de la bête, un mélange de solitude, de tristesse, et de colère. Le fauve reste stoïque, sinistre et immobile, aux pieds de Joséphine. Celle-ci hésite à lui parler ou à bouger. Mais elle comprend ensuite que le lion n’a pas faim et qu’elle ne risque rien, pour l’instant. Les oreilles du fauve deviennent curieuses et le lion penche la tête, comme amusé par l’attitude effrayée de l’étrangère. Cette dernière est toute de suite rassurée par la réaction du lion.
Quelques heures passent et le jour semble infini ; le lion part à l’extérieur de la caverne. Joséphine s’est endormie comme une enfant perdue. Celle-ci se réveille et va rejoindre le lion dehors. Le géant des bois demeure encore étendu, furieux et obscur sur le mont. En dessous de lui, se dresse un paysage brumeux les nuits et vert le jour, qui s’abaisse avec respect, sous la patte du roi. Joséphine l’observe depuis un petit étang, et contemple l’empereur fier. Elle songe à s’échapper ; mais elle attend le couché du soleil pour le faire. La nuit couvre enfin le ciel. Joséphine s’apprête à fuir quant le lion fait opposition à son geste. La
créature sauvage est-elle affamée ?la femme tremble à cette idée. Elle recule devant les pas inquiétants de la bête. Puis elle accélère le pas, elle se met à courir devant elle, tout en se retournant pour guetter la position du fauve. La bête bondit tout à coup, la gueule ouverte, les pattes écartées, rugissant furieusement. Joséphine, horrifiée par la violence du félin, trébuche par inadvertance sur une pierre et se cogne la tête. Elle perd connaissance.
A son éveil, Joséphine est ligotée par les pieds et les mains. Sa robe est tâchée de sang ; elle a une blessure à la nuque et des griffures aux jambes. Le haut de son décolleté est déchiré et ses cheveux, emmêlés. Le lion est couché à ses pieds : celui-ci a apporté du gibier qu’il a chassé en guise de nourriture pour elle, ainsi que des branches étalées sur les jambes de Joséphine. Tout est calme, et la jeune fille a la gorge sèche. Le lion s’avance vers elle avec douceur et un regard captif. Celle-ci cherche à se débattre et pousse des cris perçants. Elle est empreinte à la tristesse ; le lion lui retire le dôme de feuillage pour lui lécher les plaies.
Elle sent alors un picotement suivit d’une démangeaison qui s’estompent au bout de quelques minutes. Le duvet du museau du lion caresse la peau de la jeune fille avec tendresse. Joséphine est d’abord surprise puis attendrie par ce geste. Maintenant elle comprend la souffrance du lion et ne pense plus à s’enfuir. Ce dernier vient de sentir que la jeune fille n’a plus peur, il lui rrache les baillons. Il la mord involontairement ; la sang coule sur le sol, mais Joséphine ne ressent pas la douleur, imprégnée désormais par l’émotion. Le lion se met soudain à sangloter,
mais Joséphine passe ses doigts sur son long pelage :
« -Tout ira bien, je suis là à présent…lui murmure-t-elle tendrement
-Tu ne m’abandonneras pas comme les autres ?dit le lion
-Tu as la faculté de parler, je n’en crois pas mes yeux, c’est incroyable !
-Toutes ces années de solitude m’ont rendu terne et maussade. Le silence a vite envahit mon empire !mais toi, tu as apparue comme un ange, qui m’est venu en aide.
-Contre quoi ?
-Contre les hommes tueurs de forêts. Ils sont venus conquérir mes terres bien aimées pour en faire un enfer, crie-il, les yeux flambants ».
Joséphine ne sait pas comment l’aider, elle qui appartient au monde des humains. Les hommes sont des êtres souvent cupides et orgueilleux, qui n’agissent que pour leur satisfaction personnelle. Même si il faut pour cela détruire ce qui est beau, et causer la souffrance en semant la tristesse derrière eux. Le lion est puissant et sacré. Depuis des millions d’années, il s’efforce de régner en paix dans son royaume. Mais est-ce qu’un être solitaire aurait la force morale et physique de lutter contre des envahisseurs ?Dans son palais sauvage, il règne une atmosphère austère et lugubre, et quant la colère le prend de rage, on peut entendre ses cris orageux par delà la montagne. Après les combats, il ne trouve ni amour, ni repos, seulement le palais de marbre, figé dans le temps. Il est éternel, il est un dieu vivant fait de chair et de sang. Par une aurore ensoleillée, Joséphine pense subitement à ses proches et à la solitude du lion. Elle se rend compte de son erreur, son éloignement envers eux. Elle chante sous la lumière qui la divinise. Sa voix attire l’attention du lion, qui grimpe discrètement dans un chêne. Le lion réfléchi tout en écoutant la mélodie
merveilleuse de la sirène. La musique le berce ;depuis la mort de sa mère, il y a bien
longtemps, il avait oublié la douceur, l’amour. Enfin, il réalise sur l’instant sa haine pour les hommes et les flammes remplissent à nouveau ses yeux. Il n’établit pas de plan, il se lève, s’élance vers le sol et se met à courir en direction de la forêt. Joséphine tente le rattraper, sans espoir. Elle ne peut rien faire et reste immobile à l’entrée de la grotte. Pendant ce temps, le lion court à travers les marais, la verdure, traverse les nombreux ruisseaux et se prépare à une attaque farouche. Les hommes sont en campement derrière de hautes herbes. La nuit approche, et la pleine Lune signale de mauvais présages. Le lion, impatient de mordiller les os des
humains, bave et montre ses crocs, ses dents acérées comme des lames de rasoir. Il dégaine ses griffes, baisse la tête, marche d’une allure lente et méfiante, et ses muscles se gonflent à la vue très rapprochée des êtres humains. Puis il saute vers eux, brusquement en grognant ; sa route est soudain freinée par un coup reçu à la patte. C’est un caillou de fer qu’a tiré un homme sur le lion. Le pauvre gémit, et ses poils se hérissent à l’approche de l’un d’entre-eux. Prit de terreur, la bête s’enfuit sur l’instant même. Blessé, le lion gravit encore les collines, puis se traîne, suffoquant sur la voie du retour. Il a un collier de chaîne qui l’étrangle ; Ses rugissements précèdent ses hurlements et bientôt, il gratte la terre et creuse de toutes ses forces pour se constituer un appui, qui l’aiderait à mieux monter. Arrivé à destination, ce dernier boîte puis s’allonge, épuisé près de l’étang. Sa fourrure est baignée par son sang ; Joséphine l’aperçoit et court à son secours. Elle essaie de le porter jusqu’à la grotte. Elle y arrive avec beaucoup de mal. L’animal musculeux est en piteux état, il tressaille beaucoup. Il est revenu pourtant vivant du gouffre. Le lion devenu presque inoffensif, prend un air morne tout en glapissant. L’animal halite et se rendort. Joséphine a bandé la blessure du lion avec du tissu, déchiré de sa robe. Le lion se réveille enfin ; Joséphine a veillé sur lui tout le jour suivant et le
lion est rétabli. Elle s’est allongée à ses côtés pour le protéger. Les hommes qui ont
pourchassés le lion sont venus jusque là ; voyant Joséphine, ils sont reparti en comprenant que le lion ne présentait plus de danger véritable. Elle les a suppliés de laisser la forêt en paix ainsi que le lion. Ils ont accepté à seule condition : Joséphine leur a donné des vivres et de l’or. Un vieil ermite les accompagnait, et ce dernier, muet est reparti l’air serein. Le lion sera depuis ce jour plus proche des animaux dans les bois, ainsi il ne sera plus seul. Joséphine lui dit enfin :
« -merci maître Lion, tu m’a aidé à comprendre qui je suis réellement et à quel point les proches comptent.
-Tu n’as pas à me remercier. Je te dois la vie et l’amour. Retournes auprès des tiens
tranquille, je ne t’oublierai jamais ».
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Hinoto