Le décret est-il illégal ?
Il apparaît que le décret n° 2006-1386 du 15 novembre 2006 appelé à entre en vigueur le 1er février 2007 élargit l’interdiction de fumer dans les lieux publics, et notamment aux salles de pauses au sein des entreprises, écoles, ou hôpitaux.
L’article R. 3511-2 précise que « l’interdiction de fumer ne s’applique pas dans les emplacements mis à la disposition des fumeurs au sein des lieux mentionnés à l’article R. 3511-1 et créés, le cas échéant, par la personne ou l’organisme responsable des lieux. »
Cependant il s’avère que l’article précédent est soumis à de nombreuses exceptions puisque tout d’abord « ces emplacements ne peuvent être aménagés au sein des établissements d’enseignement publics et privés, des centres de formation des apprentis, des établissements destinés à ou régulièrement utilisés pour l’accueil, la formation, l’hébergement ou la pratique sportive des mineurs et des établissements de santé ».
Subséquemment, le décret précise que les emplacements réservés aux fumeurs, lorsqu’ils peuvent être mis en place, se doivent de respecter des normes drastiques nécessitant des investissements en conséquence.
Cela revient à pénaliser financièrement la personne ou l’organisme responsable des lieux qui emploie des salariés fumeurs et qui voudra respecter l’article L122-45 du Code du travail qui stipule que « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte ».
Si l’employeur décide d’opter pour l’interdiction totale, alors elle entre en conflit avec l’article L120-2 du Code du travail qui précise que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Ce décret crée donc les conditions pour favoriser le recrutement de personnes qui ne fument pas aux détriments des fumeurs, et pour accentuer la pression psychologique de la part de l’employeur sur des salariés déjà mis en situation de stress de par leur dépendance au tabac, état qu’ils ont de plus en plus de difficultés à assouvir eu égard à la montée en régime du caractère répressif des réglementations.
Comme nous l’avons vu, le décret n° 2006-1386 du 15 novembre 2006 conduisant à la suppression de fait d’un vaste ensemble de zones fumeurs, il remet en cause la liberté des fumeurs ou des non-fumeurs n’ayant pas d’objection au tabagisme passif à se livrer à la consommation d’un produit autorisé entre eux, et ce en violation de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui stipule que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. »
Plus généralement, le fait que le décret n° 2006-1386 du 15 novembre 2006 élargisse l’interdiction de fumer « dans tous les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail » sans contraindre la personne ou l’organisme responsable des lieux à s’équiper de salles réservées aux fumeurs, autorise un comportement discriminant à l’égard des fumeurs en violation de l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
La loi Évin institue en matière de lutte contre le tabagisme une police spéciale qui interdit en conséquence au Gouvernement d’exercer dans ce même domaine d’autres attributions que celles qu’il détient sur le fondement de l’habilitation contenue dans la loi du 10 janvier 1991, désormais codifiée dans le code de la santé publique, et qui permet d’aménager des endroits où la liberté de fumer peut s’exercer (Article L3511-7).
L’habilitation législative lui impose de préciser les conditions d’application de cette notion et non de la supprimer. Le décret n° 2006-1386 du 15 novembre 2006 bafoue la loi en donnant l’avantage à une interdiction totale qui ne coûte rien par rapport à une autorisation facultative d’« emplacements expressément réservés aux fumeurs » qui nécessiteront des investissements.
Mais en conditionnant à des normes restrictives et un investissement financier conséquent « les emplacements expressément réservés aux fumeurs », en ne stipulant aucun caractère obligatoire à la mise en place de ces emplacements « créés, le cas échéant », le décret n° 2006-1386 du 15 novembre 2006 fixe des exigences d’applications qui contreviennent à l’esprit de la Loi puisqu’elles déboucheront de fait sur la suppression d’une de ses prérogatives.
La mise en oeuvre effective de ce décret conduira donc à l’interdiction de fumer « dans tous les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail », et doit donc être regardé comme pris par une autorité incompétente qui excède les termes de son habilitation.