Le gène, la molécule d’ADN, se trouve être l’entité réplicative qui tient le haut du pavé sur notre planète. Il se pourrait qu’il y en ait d’autres.
Je crois qu’une nouvelle sorte de réplicateur a récemment fait son apparition sur cette planète-ci. Il est pour l’heure dans sa prime enfance, barbotant encore maladroitement dans sa soupe primitive, mais déjà il parvient à entraîner des évolutions à une vitesse qui laisse le vieux gène essoufflé loin derrière.
La nouvelle soupe est celle de la culture humaine. Nous avons besoin d’un nom pour le nouveau réplicateur, un nom commun qui véhicule l’idée de transmission culturelle, une unité d’imitation. “Mème” provient d’une racine grecque acceptable, on pourrait le voir au choix comme dérivant de “mémoire”, ou du mot français “même” (same).
Comme exemples de Mèmes on peut citer les mélodies, les slogans, les modes vestimentaires, les façons de fabriquer des pots ou de construire des arches. De même que les gènes se propagent à travers le bassin génétique en bondissant de corps en corps via les spermatozoïdes et les oeufs, ainsi les mèmes se propagent dans le bassin mémétique en sautant de cerveau en cerveau, par le biais d’un processus, qui, au sens le plus large peut être appelé imitation. ” La définition la plus large d’un mème est un morceau d’information, stocké temporairement dans le cerveau humain, qui influence le comportement (pensée, parole, ou action) et se transmet d’une personne à une autre par imitation (imitation est ici pris au sens large, c’est-à-dire consciente ou non, voulue ou non, immédiate ou différée).
(Définition formulée par P.Jouxtel d’après les travaux du Dr S. Blackmore.)
La définition récemment fournie par Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin, de la revue Automates Intelligents, me semble bien tournée :
“Les mèmes sont des unités réplicatives et mutantes se développant sur le mode darwinien dans les réseaux constitués par les cerveaux des hommes et par les divers médias, traditionnels (parole, écrit (*)) ou modernes (radio, TV, Internet) les reliant.
Des exemples ?
Mais alors, rapide, en vrac, comme ça !
* Porter un insigne.
* Taper dans un ballon avec le pied pour atteindre un but.
* Prendre de l’aspirine quand on a mal à la tête.
* Raconter une blague de blondes.
* Souhaiter la bonne année.
* Refuser de souhaiter la bonne année.
* Un bon slogan publicitaire.
* Un pas de danse.
Certains mèmes peuvent se décrire par des principes dirigeant l’action.
(C’est essentiellement sous la forme de “croyances” que A. Lynch les étudie, dans ‘Thought contagions : how belief spreads through society’).
* “La propriété, c’est la liberté.”
* “Vert je passe, rouge je m’arrête.”
* “Les croyants vont au paradis après la mort.”
* “Notre pays manque d’armements.”
* “Mieux vaut prévenir que guérir.”
* “Le sucre c’est bon pour les enfants.”
* “Le sucre c’est mauvais pour les enfants.”
Les chercheurs s’emploient à démontrer ce dont Dawkins avait eu l’intuition en 1976, savoir que les mèmes sont doués, comme les gènes, du “pouvoir de réplicateur”.
Par nature, il ne font qu’une chose avec plus ou moins de succès : des copies d’eux-mêmes dans le cerveau du porteur ou de toute personne qui entre en contact avec le porteur. Ces copies peuvent être caractérisées par trois qualités, qu’ils peuvent posséder à différents degrés :
La fécondité, c’est-à-dire la capacité à fabriquer massivement un grand nombre de copies.
Exemple : regarder Loft Story.
La fidélité, c’est-à-dire la capacité à se reproduire sans déformation, ni déperdition.
Exemple : La déclaration des droits de l’homme.
La longévité, c’est-à-dire la capacité à s’inscrire durablement dans la mémoire ou les habitudes du porteur.
Exemple : Ne pas jeter du pain à la poubelle.
Les mèmes subissent une pression d’évolution, car ils doivent partager une ressource limitée : d’abord l’attention, puis la mémoire, puis la faculté d’expression des hommes. En d’autre termes, ils sont infiniment trop nombreux pour ce que nous sommes capable d’embarquer à bord de notre cerveau.
Donc, il y a compétition pour manger notre temps de veille.
Donc, il y a sélection.
Et comme les mèmes se reproduisent imparfaitement au cours de la reproduction par imitation, ils “mutent”. Donc, il y a évolution au sens de Darwin.
Il est désormais admis que des réplicateurs appelés mèmes déterminent nos cultures, nos comportements, nos organisations, de la même façon que les gènes déterminent notre squelette, notre foie et notre cerveau.
Les mèmes se copient (imparfaitement) à travers nous, chaque fois qu’une phrase, un geste, une attitude se transmet par contagion d’une personne à une autre.
Le mème le plus apte à s’auto-répliquer survit. Pas forcément le plus utile, le plus intéressant ou le plus beau. Simplement celui qui génère le plus grand nombre de copies, fidèles et durables, de lui-même.
Qui peut agir sur les mèmes peut agir sur l’évolution du monde.
L’homme libre est celui qui sait décoder ses propres mèmes, et contrôler ceux qu’il transmet autour de lui – notamment à ses proches – à chaque instant.
Aujourd’hui, la quasi-totalité de notre temps “social” est employé à servir de véhicules à des mèmes que nous ne contrôlons pas. La majorité d’entre eux se propagent à notre insu.
La question a poser est : Que faire, maintenant que nous savons ? Comment vivre une vraie vie d’homme (ou de femme) dans un monde gouverné par les contagions mentales, où nous ne sommes que des récipients ?