Tiré de la revue Occulture # 11
Malheureusement, cette revue n’existe plus. Après la lecture, nous comprenons mieux dans quel monde nous vivons.
Cristal
ARKWN TOU KOSMON
Le Seigneur des mondes
Le premier pilier secret de la Tradition
Claude-Gérard Sarrazin
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Qui a créé les univers, matériels et subtils’ D’où vient le mal’ Comment concilier la réalité perceptible du mal avec l’existence d’un Dieu omnipotent et omniscient’ Pourquoi faut-il “effacer le péché originel”?
Et si la réponse était dans le manichéisme ? Et si les simplifications doctrinales des créateurs de l’Occident — l’Occident est chrétien dans toutes ses fibres, même les athées — avaient supprimé un des piliers de l’édifice théologique transmis par la Tradition’
Et si les Cathares avaient été les derniers représentants de la connaissance héritée du lointain passé?
À première vue, on pourrait croire que seuls les hérétiques, dûment condamnés, parlent d’un dualisme fondamental, transcendant, “divin”.
Ce serait une grave erreur: la source occidentale du dualisme est dans les Écritures reçues. Le Second Principe a pour nom, dans les évangiles, Le Prince de ce Monde, tout au moins dans la traduction en langues dites vulgaires.
Nous allons revoir les textes à partir de “l’original” grec (ce qui reste des anciens écrits est rédigé en grec et non en araméen ou en hébreu; la légende profane tient à des textes jamais retrouvés , antérieurs au grec; nous n’entrerons pas dans la polémique; toutes les traductions actuelles sont basées sur le texte grec reconstitué, versions officielles comprises; nous nous y référerons donc, tout comme les théologiens accrédités). Et on oublie parfois que le christianisme recouvre, d’abord et avant tout, le monde gréco-romain, né de la culture grecque.
Le Prince
Le mot français prince vient du latin princeps, premier, premier de tous, fondateur, instigateur. Il faut plutôt penser au mot principe qu’au mot prince dans son acception moderne (fils de roi, personnage qui doit son autorité à un autre [son père]). Le prince, au sens courant du terme, n’est pas “le premier du royaume”. Il s’agit bien d’un glissement de sens, glissement dont toute la pratique chrétienne a souffert.
Le texte grec “original” (insistons: les évangiles ont été vraisemblablement écrits en grec et non en latin ou en hébreu, encore moins en araméen) dit archôn (que nous retrouvons sans cesse dans les Écritures chrétiennes) pour ce qu’on a traduit par prince.
Le verbe archô signifie: être le premier, aller en tête, guider, commander, être le chef. Le nom archos signifie: celui qui conduit, guide, le premier, le plus puissant; archôn signifie alors un chef, un gouverneur, un souverain. Nulle possibilité de comprendre: fils du roi, second personnage, personnage subalterne.
Vérifions maintenant dans les textes canoniques la signification retenue par les rédacteurs eux-mêmes et non par les traducteurs successifs.
“[Jésus] le premier-né d’entre les morts et le prince des rois de la terre…” (Ap I,5)
Le texte grec dit
kai o archôn tôn basileôn
et le “prince” des rois
Il s’agit bien de premier (princeps) et non du fils du roi, qui ne pourrait être “le premier des rois”. C’est “le grand chef”, le souverain absolu, le maître des maîtres. Le terme grec archôn signifie bien, dans les textes canoniques, roi, et non prince dans l’acception moderne.
On peut lire également
“Les chefs des nations….” (Mt XX, 25)
En grec
oi archontes tôn ethôn
les “chefs” des nations
Alors, le Prince de ce Monde… est-il prince ou roi’ En grec, il semble bien être le roi. Le roi de ce monde… Puisqu’il s’agit de définir ce Prince (l’Adversaire), voyons maintenant ce qu’il en est du “monde”.
Le monde
Commençons par définir le mot français; pour ce faire, prenons des exemples évidents.
— Les Anciens plaçaient la Terre au centre du monde.
— Il a fait le tour du monde en avion.
— Le Tiers Monde…
— C’est la fin du monde!
— Le monde du silence
— Elle a mis au monde un infirme.
— Jean-Pierre ne faisait pas partie de leur monde.
— Le monde entier a été ému par la catastrophe.
— Un mondain fréquente les gens en vue et participe aux réunions de la haute société.
— Il y avait un monde fou pour recevoir la reine.
— Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles
— Dans ce bas-monde, les âmes se préparent pour l’autre monde.
— Il méprise les biens de ce monde.
Comme on peut le constater, le mot monde, en français, recouvre bien des concepts différents.
Il n’en est pas de même en grec; le grec kosmos, traduit par monde, signifie:
— ordre, organisation
— ordre de l’univers, univers
On traduit donc le grec kosmos par monde… lorsque cette traduction convient aux besoins de la démonstration et on nage dans le flou absolu des acceptions divergentes. Il s’agit cependant, en grec, de la Manifestation tout entière (la Création, en langue profane) et non du monde au sens commun, variable selon le contexte profane ou religieux.
Le mot grec kosmos a donné, en français, le nom cosmos et l’adjectif cosmique.
Voyons donc quelques exemples.
“Jésus a fait encore bien d’autres choses: si on les écrivait une à une, le monde [kosmon] entier ne pourrait, je pense, contenir les livres qu’on écrirait.” (Jn XXI, 25)
“Le Dieu qui a créé l’univers [kosmon] […] n’habite pas des temples construits par la main des hommes.” (Ac XVII, 24)
“Depuis la création du monde [kosmon] .” (Rm I, 20)
“Si quelqu’un possède les biens de ce monde et voit son frère dans le besoin…” (I Jn III, 17)
L’original (ce dernier verset, I Jn III, 17, si connu et répété) plonge le lecteur dans des abîmes de réflexion. Il faudrait peut-être lire
ton bion tou kosmon
la vie du monde
On peut traduire autrement: “Si quelqu’un possède la vie” ou mieux “le souffle de vie”. Bios, on, signifie en effet : la vie en soi, la durée de la vie, le genre de vie, le souffle de vie, le lieu où l’on vit, la biographie et les moyens de vivre. Pourquoi choisir justement la dernière acception’
Continuons.
“Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde [kosmon] illumine tout homme. Il était dans le monde [kosmon], et le monde [kosmon] fut par lui et le monde [kosmon] ne l’a pas reconnu.” (Jn I, 9-10)
“La lumière est venue dans le monde [kosmon] et les hommes ont préféré l’obscurité.” (Jn III, 19)
“Dieu a tant aimé le monde [kosmon] qu’il a donné son Fils.” (Jn III, 16)
“Nous savons qu’il est vraiment le sauveur du monde [kosmon].” (Jn IV, 42)
“Je suis sorti du Père et je suis venu dans ce monde, tandis qu’à présent je quitte le monde et je vais au Père.” (Jn XVI, 28)
Pourrait-on encore comprendre “le monde des hommes du siècle” seulement’ Il n’existerait rien de plus que les poussières humaines dans l’univers matériel et rien que les univers matériels’ Le Christ “vient du Père”, de la Source absolue, de l’Origine et non du cosmos modelé par le Démiurge.
“C’est lui l’Esprit [Pneuma] de vérité [alêthéia], celui que le monde est incapable d’accueillir parce qu’il ne le voit pas et qu’il ne le connaît pas.” (Jn XIV, 17)
Le cosmos, né du Mensonge, ne peut recevoir la Force de Vérité, la Puissance du vrai Seigneur. Ce n’est pas le “monde profane” qu’il faut fuir pour vivre dans un désert, ce serait plutôt le cosmos, la Manifestation qu’il faudrait fuir. Ce cosmos est incapable d’accueillir la Force (Pneuma) de Vérité parce que cette Force le détruirait.
“Vous allez gémir et vous lamenter, tandis que le monde se réjouira.” (XVI, 20)
Selon les enseignements de la Tradition, on pourrait ainsi “traduire”:
Le cosmos se réjouit de la disparition de cette Incarnation, de cette épine douloureuse pour lui: la présence d’une telle Lumière est une menace. “Le monde profane” ne connaît pas l’Incarnation et n’a aucune raison de se réjouir. La foule heureuse d’assister à une crucifixion’ C’était banal et Jésus n’avait pas besoin de faire un discours sur la bêtise humaine ni sur cette foule très locale. “Le monde”, pas seulement au sens de “monde romain”, se moquait bien de la disparition de Jésus-Christ. Quant à la planète… C’est bien du cosmos qu’il s’agissait. Kosmon signifie bien cosmos et non société locale.
“Père, glorifie-moi auprès de toi de cette gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût.” (Jn XVII, 5)
Faut-il “traduire”?
“Je prie pour eux (ceux que tu m’as donnés), je ne prie pas pour le monde.” (Jn XVII, 9)
Jésus n’a pas besoin de prier pour le cosmos; il prie pour ceux qui sont reliés au Père par leur Lumière intérieure.
“Je ne te demande pas de les ôter du monde, mais de les garder du mauvais.” (Jn XVII, 15)
Si les élus étaient retirés du monde, comment ce monde serait-il changé? Jésus ne doit pas transformer d’un coup de baguette magique le cosmos tout entier mais le noyauter.
D’ailleurs, comment retirer un humain du cosmos sans le priver de son être matériel, de son incarnation’ Il n’en resterait que l’étincelle divine, qui n’aurait pas eu besoin de descendre dans le cosmos. Les élus doivent rester dans le monde, tout en étant protégés du Mauvais.
“Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.” (Jn IX, 5)
C’est le principe même de l’Incarnation: la Lumière se revêt de matière, se revêt du monde POUR le diviniser. Le cosmos entier s’illumine. L’Incarnation est LA Lumière du cosmos.
“Celui qui aime sa vie [psukhê] la perd, et celui qui cesse de s’y attacher en ce monde la gardera pour la vie [zôên aiônion] éternelle.” (Jn XII, 25)
La nuance est de taille en grec: la psyché [psukhê] n’est ni la vie ni l’âme éternelle mais l’âme provisoire, ce qui anime l’être et qui fait partie du cosmos. Celui qui aime sa part de cosmos mensonger perdra cette vie provisoire et n’aura rien de plus puisqu’il se dissoudra dans le cosmos, tout comme son corps de chair. Celui qui cesse de s’attacher à cette parcelle, qui ne la reconnaît pas comme étant son moi éternel gardera sa vie éternelle. Il ne s’agit nullement de suicide à court ou à long terme.
Comme si tout n’était suffisamment obscurci, encore fallut-il en ajouter: on a traduit par monde un autre mot grec: aiôn, une ère, un long espace de temps indéterminé, une éternité. Comment distinguer monde [kosmon] et monde [aiôn]? Dans le premier cas, c’est l’univers, la Manifestation, la “Création”, dans le second, c’est l’évolution, le temps ou l’éternité, plutôt une éternité pour l’homme.
Prenons encore quelques exemples.
“Ceux qui appartiennent à ce monde [aiôn] sont plus habiles vis à vis de leurs semblables que ceux qui appartiennent à la lumière.” (Lc XVI, 8).
Dans ce verset, l’adjectif habile semble encore une étrangeté; le terme grec est phronimôs, avec sagesse ou prudence. Que faut-il comprendre de la phrase’
“Ceux qui appartiennent à ce monde [aiôn]-ci prennent femme ou mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde [aiôn] à venir et à la résurrection des morts ne prennent ni femme ni mari. C’est qu’ils ne peuvent plus mourir, car ils sont pareils aux anges.” (Lc XX, 34-36)
On traduit, selon les besoins doctrinaux, le même monde [aiôn] par temps.
“Ces événements leur arrivaient pour servir d’exemple et furent mis par écrit pour nous instruire, nous qui touchons à la fin des temps [aiôn].” (I Co X, 11)
ta telè tôn aiônôn katèntèsen
la fin des âges est arrivée
Abrégeons. Le Prince de ce Monde est donc roi; et son monde est bien le cosmos tout entier.
“Le Prince de ce monde”
Comment traduire une expression aussi fondamentale pour l’évolution de l’Occident si chacun des mots est mal compris, si le sens de chacun des mots a glissé au cours des siècles ou dès les premiers siècles’
Il ne s’agit nullement du second sur la Terre (le fils du roi de la terre), encore moins le “prince” de la bonne société, ou du “prince” du monde profane par opposition au monde des cloîtrés mais bien du roi [archôn] de l’univers [kosmos], du roi de la Manifestation, du maître sans partage de l’univers. C’est lui, le grand maître, le Seigneur des mondes.
Les Anciens savaient QUI étaient le maître du monde.
“Un texte, attribué à Clément de Rome, nous rapporte […] un écho gnostique:
“Aujourd’hui, Simon [de Samarie] est prêt à se présenter devant tous, et à démontrer par les écritures le point suivant: le dieu qui a créé le Ciel et la Terre et tout ce qu’ils contiennent n’est pas le Dieu Suprême. Le Dieu Suprême est un autre dieu, inconnu celui-là, et ineffable, qu’on pourrait appeler le Dieu des dieux. Ce Dieu Suprême a envoyé deux dieux, dont l’un a créé le monde, et l’autre lui a donné la Loi…” (Les Homélies Clémentines, III, 2) “
(Ambelain, R., La notion gnostique du démiurge dans les Écritures et les Traditions Judéo-Chrétiennes, Adyar, 1959, p. 14)
Grégoire de Nysse (v. 335-v. 395), évêque, fils de saint Basile l’Ancien et frère de saint Basile le Grand, fait partie des Pères de l’Église; son opinion est donc à considérer. La voici:
“C’est au Diable, qui était à l’origine le premier des Anges, que Dieu confia le gouvernement de la Terre…” (Discours catéchétiques, VI, 5).
(Cité in Ambelain, R., La notion gnostique du démiurge…, op. cit., p.67)
Un pape, saint Grégoire, a écrit:
“ Béhémoth est appelé principe des Voies de Dieu, parce que c’est par lui que Dieu commença l’œuvre de Sa Manifestation, et qu’il le plaça au-dessus des autres Anges…” (Morales, XXXII, 47)
(Ibid., p. 67)
Pour les textes reçus, le maître du monde, c’est le Diable et non Dieu. Voici quelques exemples (C’est moi qui souligne chaque fois que nécessaire).
“Le diable le [Jésus] conduisit plus haut, lui fit voir en un instant tous les royaumes de la terre, et lui dit: “Je te donnerai tout ce pouvoir avec la gloire de ces royaumes, parce que c’est à moi qu’il a été remis et que je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu m’adores, tu l’auras tout entier.” (Lc IV, 5-7)
“C’est maintenant le jugement de ce monde [kosmon], maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors. Pourquoi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi, tous les hommes.” (Jn XII, 31)
“Désormais, je ne m’entretiendrai plus guère avec vous, car le prince de ce monde vient. Certes, il n’a en moi aucune prise…” (Jn XIV, 30)
“Si le monde [kosmos] vous hait, sachez qu’il m’a haï le premier. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui lui appartiendrait; mais vous n’êtes pas du monde: c’est moi qui vous ai mis à part du monde et voilà pourquoi le monde vous hait.” (Jn XV, 18-19)
“…quand vous suiviez le dieu de ce monde, le prince qui règne entre ciel et terre, l’esprit qui agit maintenant parmi les rebelles.” (Ep II 2)
“Ce n’est pas à l’homme que nous sommes affrontés, mais aux Autorités, aux Pouvoirs, aux Dominateurs de ce monde de ténèbres, aux esprits du mal qui sont dans les cieux.” (Ep VI, 12)
“… puisque tout ce qui est dans le monde […] ne provient pas du Père, mais provient du monde…” (I Jn II, 16)
“Nous savons que nous sommes de Dieu, mais le monde tout entier gît sous l’empire du Mauvais.” (I Jn V, 19)
Déclarer que tout vient de Dieu, que le maître du monde, de l’univers, de la Manifestation, c’est Dieu, n’est peut-être pas en accord avec les Écritures. Selon les textes reçus, c’est l’Autre, c’est le prince de ce monde qui n’est nullement le second sur la Terre ni un “prince” du monde profane par opposition au monde des cloîtrés; il est bel et bien, insistons, répétons, le roi [archôn] de l’univers [kosmos], le roi de la Manifestation, le maître sans partage de l’univers.
Poursuivons notre triste enquête.
“Mon Royaume n’est pas de ce monde”
Tout a commencé, ou continué, par des versets trop souvent cités :
“Vous êtes de ce monde, moi je ne suis pas de ce monde.” (Jn VIII, 23)
“Mon Royaume n’est pas de ce monde.” (Jn XVIII, 36)
L’original grec dit bien que le Royaume (Basileia) n’est pas de ce monde (kosmon). Ce qui paraît logique, clair et sans équivoque. Les doctrinaires s’étaient englués dans leurs contradictions: d’une part, Israël était le royaume de Dieu, celui du peuple élu; d’autre part, il fallait résoudre l’impossibilité “mon Royaume n’est pas de ce monde.” Que devenait le peuple élu’ Jésus ne reconnaissait plus le royaume d’Israël’
De glissements de sens en glissements de sens, le monde est devenu une abstraction philosophique: la vie du monde par opposition à la vie religieuse, la société par opposition au cloître, l’ensemble des profanes par opposition aux baptisés; en même temps, le monde représentait l’humanité, la vie terrestre. Le royaume n’est pas là.
Où est-il’
On s’est finalement contenté du “grand mystère”. Pourtant, si nous relisons Luc:
“le règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. On ne dira pas “le voici” ou “le voilà”. En effet le règne de Dieu est parmi vous.” (Lc XVII, 20)
L’original grec ne dit pas “règne de Dieu” mais “royaume de Dieu”. En jouant sans cesse sur la traduction de même mot basileia, on peut faire passer bien des contradictions.
Tantôt, il s’agit du royaume (qui fait penser à une étendue), tantôt c’est le règne (qui fait penser à une autorité abstraite).
Quant au mot cosmos, c’est parfois la terre, parfois l’univers, parfois la terre par opposition au paradis, ou encore l’espèce humaine ou les biens matériels.
De ces surprenantes traductions, le chrétien doit comprendre que le Christ descend dans un monde d’obscurité pour inciter chacun à le fuir au plus vite, quitte à consentir à un suicide plus ou moins bien déguisé (le corps doit pourrir rapidement). On se garde bien de répondre à la question embarrassante:
“Qui a imposé aux humains de naître en ce bas-monde’”
La grande question se pose toutefois: “Dieu” et “l’Adversaire” sont-ils co-éternels ou le “Prince de ce Monde” fait-il partie de la Manifestation’ Dans le premier cas, l’espoir “d’en sortir” est presque nul pour l’homme; dans le second, la Mission sacrée est claire…
La réponse ne se trouve pas dans les Écritures chrétiennes mais, la Tradition étant UNE, rien ne nous interdit d’aller puiser ailleurs.
Le quadruple Démiurge
La Réalité est peut-être simple, logique, évidente. La voici sous forme de conte:
“Un jour, “Dieu” décida de s’extérioriser, de s’objectiver, pour avoir la joie de se connaître en détail. Alors il émana d’abord sa conscience (c’est-à-dire qu’il manifesta sa conscience) en donnant l’ordre à cette conscience de réaliser un univers. Cette conscience a commencé par émaner quatre êtres, quatre individualités qui étaient vraiment tout à fait supérieures, de la plus haute Réalité.
“C’étaient l’être de la Conscience, l’être de l’Amour, (de l’Ananda plutôt), l’être de la Vie, et l’être de la Lumière et de la Connaissance — mais la Conscience et la Lumière, c’est la même chose.
“Voilà: la Conscience, l’Amour et Ananda, la Vie et la Vérité — la Vérité, voilà le terme exact. Et naturellement, c’étaient des êtres suprêmement puissants, vous pensez. C’étaient ce que l’on appelle dans cette tradition les premiers émanés, c’est-à-dire les premières formations. Et chacun est devenu très conscient de sa qualité, de son pouvoir, […] et a oublié à sa manière qu’il n’était qu’une émanation et une incarnation du Suprême. […]
“On raconte que le Divin voulait que sa création soit une création libre. Il voulait que tout ce qui sort de lui soit absolument indépendant et libre pour se joindre à lui dans la liberté, pas dans la contrainte.”
(La Mère, Entretiens 1953, SAS, Pondichéry, pp. 480 sq.)
“Alors, selon l’histoire, conscients de leur pouvoir infini, au lieu de rester branchés sur la Mère suprême […] ils sont partis chacun indépendants pour faire ce qu’ils voulaient faire […]. Ils ont oublié leur Origine. Et c’est ce premier oubli qui a fait que la Conscience est devenue Inconscience, la Lumière est devenue Obscurité; le second, l’Ananda, est devenue Souffrance, l’Amour est devenu Haine; le troisième, la Vie, est devenu la Mort; et le quatrième, la Vérité, est devenu Mensonge. Et ils ont été instantanément précipités dans ce qui est devenu la Matière. […]
“Extérieurement, pour les intellectuels, c’est très enfantin, mais quand on a l’expérience, on comprend très bien.”
(L’agenda de Mère, 1962, tome 3, p. 54)
Résumons ces enseignements: les quatre premiers Émanés perdent le contact avec l’origine et leurs Pouvoirs s’obscurcissent.
Conscience-Lumière obscurité-inconscience
Béatitude souffrance
Vie mort
Vérité mensonge
Selon la Tradition, l’humain se débat dans un monde créé par ces Émanés. Le Seigneur du Mensonge est aussi “le Seigneur des Nations” et il organise les grandes et petites guerres. Quant au Seigneur de la Mort, il perpétue la mort de l’individu et suggère aux consciences tout ce qu’il faut faire pour que la mort s’insinue partout (pollution par exemple).
Une aide est-elle pensable’
“Les dieux sont des êtres qui appartiennent à la création progressive de l’univers et qui ont eux-mêmes présidé à la formation depuis les régions les plus éthérées ou subtiles jusqu’aux régions les plus matérielles. C’est une descente de l’Esprit créateur divin qui est venu réparer le mischief [les méfaits]… enfin ce que les Asoura [les premiers Émanés] avaient fait. Les premiers formateurs avaient créé un désordre et une obscurité, une inconscience, et alors, il y a eu une seconde “lignée” de formateurs, dit-on, pour réparer ce mal-là, et ceux-là (les dieux) sont descendus progressivement à travers des réalités de plus en plus […], des substances de plus en plus concrètes. […]
“Il y a toute la tradition chaldéenne, et puis la tradition védique, et il y avait très certainement une tradition antérieure aux deux et qui s’est séparée en deux branches. Eh bien, toutes ces expériences occultes sont les mêmes. […]
“Alors, personnellement, je suis convaincue qu’il y a eu, en effet, une tradition antérieure à ces deux traditions-là et qui contient une connaissance très proche d’une connaissance intégrale.”
(L’agenda de Mère, tome I, pp. 226-7)
Pour remettre la Manifestation dans la Lumière divine, pour la diviniser, l’univers attend que l’être humain SE divinise. C’était déjà le défi proposé aux civilisations qui ont précédé la nôtre.
“En apparence, l’univers est certainement ou a été jusqu’à présent un jeu brutal et plein de gaspillage dans lequel les dés du hasard ont été pipés en faveur des Pouvoirs de l’obscurité, les Seigneurs de l’Obscurité, du Mensonge, de la Mort et de la Souffrance. Mais nous devons le prendre tel quel et découvrir — si nous refusons la voie d’évitement des anciens sages — le moyen de le conquérir.”
(Sri Aurobindo, Letters on Yoga, SAA, Pondichéry, vol 1., p. 396)
Les Quatre Ministres — Résumé
La Mère Divine, Mahashakti, Force Réalisatrice, Pneuma, (ou mieux to pneuma to hagion) “créa” tout ce qui existe; la Manifestation est l’œuvre de la Mère.
Pour réaliser cette Manifestation, la Mère (Mahashakti) émana Quatre Personnes, incarnant chacune un de ses Pouvoirs de Réalisation: Vérité, Béatitude, Conscience et Vie. Elle les créa libres, autonomes.
Aussitôt manifestés, ces Ministres se détachèrent de l’Origine et construisirent les univers à leur guise. Les quatre Pouvoirs de Lumière devinrent aussitôt les quatre Pouvoirs de l’Ombre: Mensonge, Souffrance, Inconscience et Mort. Ce sont ces Quatre Ministres qui firent “la Création”.
La Manifestation est donc à l’image des Ministres et non du “Bon Dieu”. Tout s’explique, et sont stériles les longues dissertations sur le problème du Mal dans le monde: les premiers chrétiens connaissaient la réponse.
Accident’ Nécessité? “Dieu” ne l’a pas dit et n’a de comptes à rendre à personne.
Les Ministres — précisions
Nous savons donc maintenant que ce n’est pas “le bon Dieu” qui a modelé la Manifestation mais bien quatre Ministres, quatre “anges déchus”, précipités dans la Matière.
C’est un fait fondamental dont les conséquences dans la vie sont incalculables.
Il n’est pas question d’immortalité tant et aussi long-temps que nous sommes soumis aux lois voulues par ces Ministres. Pour eux, qui sont immortels sinon éternels, la durée de la vie humaine est du même ordre que celle de la vie d’un moustique: une simple étincelle qui disparaît aussitôt qu’elle naît.
Pour éviter que l’humain ne découvre le secret de sa divine origine, le secret de son immortalité potentielle, ses Modeleurs l’ont donc conçu de telle sorte qu’il reste à jamais un moustique plongé dans une technologie abrutissante et que l’essaim (ou la horde, dans ce cas) empêche l’individu plus éveillé de contaminer les autres. La horde n’hésite jamais à étouffer et tuer s’il le faut celui qui dérange (les chrétiens doivent se rappeler que Jésus fut crucifié: il dérangeait).
Les principes de ce modelage sont con-nus des initiés de tous les temps. Faut-il rappeler que les enseignements religieux populaires nient (et doivent nier) de toutes leurs forces la réalité de tels principes’ Les enseignements populaires (exotériques) sont destinés à ceux qui n’évolueront que très lentement au cours des âges; il faut les maintenir au point où ils sont et, autant que faire se peut, les empêcher de rétrograder.
Quels sont donc ces principes mortels’
Mort
Le Seigneur de la Mort, qui fut le Seigneur de la Vie, a placé un mécanisme à retardement dans TOUT ce qui vit: l’être vivant doit redevenir matière inanimée et, si l’être vivant est conscient de vivre, une force en lui doit pousser à précipiter le retour à l’inorganique. La Science appelle ce principe l’entropie.
Quoi que fasse l’homme, il vieillit et dépérit. On peut difficilement cacher son âge et la chirurgie plastique ne ca-moufle pas tout, surtout pas les détériorations internes.
Le subconscient est programmé pour que l’individu accélère de lui-même son propre vieillissement et sa mort. Chacun appelle alors liberté le fait de pouvoir se détruire à petit ou à grand feu (drogues légales ou illégales, rythme de vie sans respect du corps, etc., etc.). L’ascèse mal comprise devient d’abord ascétisme puis dolorisme.
Inconscience
L’évolution consiste dans le fait de devenir de plus en plus conscient. L’animal est plus conscient que le végétal et l’homme plus que l’animal, du moins en principe.
L’individu EST une conscience. Le Seigneur de la Conscience, en devenant le Seigneur de l’Inconscience, a modelé l’humain de telle sorte qu’il soit totalement inconscient et que sa horde veille à empêcher la croissance de sa conscience.
Celui qui “créa” la vie a placé la mort au sein de chaque être; celui qui a “créé” la conscience, donc l’individualité, a placé l’inconscience dans l’essence même de l’être.
L’homme est ainsi totalement inconscient de sa divinité, de son potentiel d’immortalité (ce n’est pas le fait de savoir intellectuellement toutes ces possibilités qui lui accordent le pouvoir, donc d’en prendre conscience); des forces sombres l’attendent dès qu’il lève les yeux vers les univers non physiques. Il ne sait pas qui il est, ce qu’il peut faire, où il va, d’où il vient. Il imagine les réponses et appelle ses hypothèses et ses réflexions de la philosophie. Il ne peut prendre conscience des réponses en lui.
Il ne sait pas reconnaître un source empoisonnée, un fruit dangereux, un piège tendu…
Il ne peut entendre son corps lui dicter ce qui serait bon pour lui, ce qui le menace…
Le maître de l’ÊTRE est le Seigneur de l’Inconscience. Chacun incarne donc, en tant qu’être unique, une inconscience fondamentale. Chacun est à la fois une parcelle divine totalement consciente et une inconscience presque totale. Chacun va en aveugle vers son tombeau en transportant l’immortalité en lui.
Prendre conscience, insistons, n’est nullement synonyme de savoir mentalement: “être conscient de” signifie “pouvoir faire”. En sanskrit, cit (conscience) est liée à tapas (force, énergie).
Mensonge
Le maître du monde, le prince de ce monde, le maître des relations entre créatures, les responsables des échanges, des affrontements, des ligues, des regroupements, le maître de toute relation entre deux ÊTRES est le Seigneur du Mensonge.
Chacun ment dès qu’il approche un autre être. Sauf rarissimes exceptions, il ne sait et ne peut être lui-même, rester tel qu’en lui-même. Il lui faut paraître à son avantage, être plus, obtenir plus, avoir plus, ne jamais révéler — ni surtout se révéler — la vérité de l’échange.
Ainsi, deux êtres incarnant l’inconscience communiquent à travers le mensonge. Ils ne se perçoivent eux-mêmes ni ne perçoivent l’autre.
On cherche ensuite d’où vient que les hommes sont en guerre dans leur famille, leur ville, leur pays et sur la planète, d’où vient que les postes d’autorité soient rarement confiés à ceux qui pourraient assumer de grandes responsabilités et faire évoluer le groupe, que la richesse soit rarement accordée à ceux qui pourraient rayonner la Lumière.
Individuellement, chacun existe du fait du Seigneur de l’Inconscience, responsable de l’étincelle de con-science qui crée l’être; collectivement, les êtres sont reliés par la force du Seigneur du Mensonge. Le monde en tant que fourmilière existe grâce à son maître, le Seigneur du Mensonge.
Souffrance
Pour couronner le tout, le dernier des Ministres a ajouté une coloration spéciale, une étincelle de conscience très li-mitée, très égocentrique: la capacité de souffrir et d’en être parfaitement conscient.
Inconscient de tout ce qu’il est et de tout ce qui l’entoure, faux dans sa relation avec autrui, incapable de percevoir autrui, certain d’être une marchandise périssable, l’homme n’a qu’une ouverture consciente: il souffre, se débat dans sa cage, qu’on lui laisse voir. C’est le suprême sadisme.
On comprend pour quelles raisons ceux qui devenaient conscients fuyaient la Manifestation et s’enfermaient en eux-mêmes pour ne vivre que dans la Lumière, pour respirer. C’est l’ascèse-rupture.
Les Lumières
Pour corriger une situation sans issue, la Mère (Mahashakti) “supplia” l’Origine d’envoyer de nouvelles Lumières dans la Création afin de la ramener vers Elle.
Chaque être vivant abrita alors une étincelle divine, pure, directement émanée du Seigneur: le psychique , simple étincelle d’abord, être de plus en plus complet et autonome chez l’homme qui se réincarne .
Voici l’histoire sous forme de conte, une fois encore:
“La Mère suprême voit (riant) le résultat de ses quatre premières émanations et Elle se tourne vers le Suprême dans une grande imploration: “Il faut sauver ce monde maintenant qu’il est dans cet état épouvantable! On ne peut pas le laisser, n’est-ce pas’” Alors le Suprême dit: “Jette-toi dans une nouvelle émanation, mais ESSENTIELLE, de l’Amour, dans la Matière la plus matérielle”, c’est-à-dire plonger dans le terre (la terre était devenue un symbole et une représentation de tout ce drame). […] Elle a plongé dans la Matière et c’était la première source du Divin à l’intérieur de la substance. Et de là, de l’intérieur (…) Elle commence à soulever la Matière . Mais en même temps qu’Elle plongeait dans la terre, il y avait une seconde série d’émanations, les dieux, pour les régions intermédiaires.”
(L’agenda de Mère, 1962, tome 3, p. 54)
De leur côté, les quatre Ministres émanèrent d’innombrables forces hostiles (démons, larves, etc.) tandis que la Mère émanait les dieux.
Résumé
Tout ce qui vit est soumis au Seigneur de la Mort.
Tout ce qui est capable de prendre conscience est soumis au Seigneur de l’Inconscience. La conscience humaine est sous son autorité.
Tout ce qui est capable de communiquer est soumis au Seigneur du Mensonge. C’est le maître des relations humaines et le grand maître des guerres.
Tout ce qui peut se percevoir est soumis au Seigneur de la Souffrance.
Ce tableau est sombre’
“Le monde tout entier (kosmos holos ) gît sous l’empire du Mauvais.” (I Jn V, 19)
Existe-t-il un espoir’
Collectivement, non: la horde est trop bien programmée; elle tient à sa cage et à son inconscience agressive.
Individuellement, oui: chacun porte en lui l’Homme-Lumière.
Saint Paul avait déjà révélé ces sombres réalités et promis un avenir plus lumineux:
“J’estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. Car la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu: livrée au pouvoir du néant — non de son propre gré, mais par l’autorité de celui qui l’y a livrée —, elle garde l’espérance, car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu.” (Rm VIII, 18-23)
On peut se libérer de l’emprise des Ministres (en se cou-pant de la Manifestation — ascèse-rupture — ou en trans-formant la part de Manifestation qui nous est confiée ): il faut construire un pont entre la conscience et l’âme, entre ce qui est mortel et ce qui est éternel. Si l’appel est sincère, l’Aide viendra (il n’existe aucune exception).
Mais
“ne rabâchez pas comme les païens; ils s’imaginent que c’est à force de paroles qu’ils se feront exaucer. Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait ce dont vous avez besoin avant que vous le lui demandiez.” (Mt VI, 7)
Le péché originel
Nous le savons, l’Occident, héritier du monde gréco-romain, est acculturé chrétien. De ce fait, toute la tradition véhiculée par l’éducation implicite considère que “Dieu a créé le monde” pour qu’on le fuie au plus vite afin de retrouver la vraie patrie.
Pour bien des Grecs (premier niveau de lecture des textes philosophiques), déjà, l’âme était prisonnière de la matière. Malgré le discours compliqué de la théologie, le fond reste le même dans le christianisme: le monde appartenant à Satan, le Prince de ce monde, on le lui abandonne et on rentre dans la Lumière, à moins que d’avoir mortellement péché et refusé la Grâce.
La théologie précise:
“La mort est une puissance ennemie de l’homme. […] La mort, effet de cette puissance mauvaise, est entrée dans le monde par l’envie du diable (Sg II, 23): elle a partie liée avec lui et avec le péché.”
(La Brosse, O. et coll., Dictionnaire de la foi chrétienne, Cerf, 1968, tome I, p. 490)
Pour le chrétien, Dieu avait créé Adam et Ève immortels, mais le Diable les avait tentés. Ce fut le péché originel.
Au chapitre III de la Genèse, on peut lire la longue malédiction de Yahvé (qui maudit le serpent, le sol, condamne l’homme et la femme) qui se termine ainsi:
“A la sueur de ton visage
tu mangeras ton pain,
jusqu’à ce que tu retournes au sol,
puisque tu en fus tiré.
Car tu es glaise
et tu retourneras à la glaise.”
(Gn III, 19)
Cette malédiction condamne l’humanité “pour les siècles des siècles”, puisqu’il s’agit du péché originel, du péché d’origine, du péché de l’essence.
Le christianisme fait sienne cette malédiction:
“[Le péché originel est le] péché des premiers humains, ayant mis un tel désordre dans la nature que ce désordre est dorénavant transmis avec la nature humaine elle-même; en ce sens, c’est aussi un péché, ou un désordre de nature.”
(Dictionnaire de la foi chrétienne, op. cit., p. 546)
“Le péché originel consiste, non pas dans l’attribution juridique à tous les hommes du péché commis par un seul d’entre eux, Adam, mais dans la privation de la vie divine, qui n’était d’ailleurs pas un don de nature et qui est retirée en vertu de la solidarité de sa descendance avec le premier homme. Ramené à son état de nature, l’homme souffre cependant, en plus des misères de la vie, de cette déchirure par rapport à la vocation première.”
(Dumont, J., et coll., Les religions, Dictionnaires Marabout, Verviers, 1974, p. 473)
Dans la première définition, l’homme est créé divin et perd sa qualité divine; dans la seconde, la qualité divine était un “additif” à sa nature humaine. Ces “nuances” ont souvent permis les condamnations pour hérésie, ainsi que les schismes.
“Ce terme [le péché originel] désigne l’état dans lequel naissent tous les hommes, en ce sens que
a) la cause de cet état est le premier péché, celui d’Adam en tant que premier homme (ancêtre et premier chef de l’humanité);
b) par ce péché, chaque homme se trouve devant Dieu dans une situation de privation de salut qui l’affecte dans son âme intime […]
“L’homme a été conçu et créé comme quelqu’un à qui la grâce libre de Dieu était accordée dès le commencement.”
(Petit dictionnaire de théologie catholique, op. cit., p. 348)
À notre époque, Vatican II précise :
“Établi par Dieu dans un état de justice, l’homme, séduit par le Malin, dès le début de l’histoire, a abusé de sa liberté, en se dressant contre Dieu et en désirant parvenir à sa fin hors de Dieu. […]
“Refusant souvent de reconnaître Dieu comme son principe, l’homme a, par le fait même, brisé l’ordre qui l’orientait à sa fin dernière et, en même temps, il a rompu toute harmonie, soit par rapport à lui-même, soit par rapport aux autres hommes et à toute la création.”
Tout en saluant respectueusement une vénérable Habitude (pédagogique), les initiés et les chercheurs de Vérité s’en tiennent à la Tradition: l’homme et la femme ont été modelés par les Ministres, “à leur image”. Ils ont donc été créés mortels et ne sont pas responsables, par choix délibéré, de leur nature mortelle.
Le chercheur non aligné pourra se demander comment un Dieu suprême, seule autorité, aurait pu créer un Diable tentateur, capable de détourner du droit chemin des êtres “à l’image de Dieu”, donc purs. Comment une simple créature innocente pourrait-elle trouver assez de pouvoir en elle pour “se dresser contre son Créateur”, une poupée de son — dans ce cas, de glaise — se dressant contre son constructeur’ Si Adam et Ève n’avaient pas “péché”, il n’y aurait pas eu d’humanité et ils seraient restés seuls dans leur paradis. Ce mythe (Adam et Ève chassés du Paradis) recouvre une profonde vérité, mais ne peut être retenu tel quel ni servir de référence sans décodage.
Les adeptes de la Tradition lisent ainsi:
“Dieu” émane les quatre Ministres qui, eux, commettent le péché originel en se coupant de l’Origine. Toute la Manifestation, qui dépend d’eux, est alors viciée, tachée, marquée du péché originel. Ces quatre Premiers Émanés ont le pouvoir de se couper de l’Origine.
L’homme et la femme sont postérieurs au péché originel et non antérieurs. Ils font partie de la Manifestation.
L’homme et la femme existent depuis quelques millions d’années, tandis que l’univers physique existe depuis des milliards d’années.
L’être humain est un produit de l’évolution et non un point de départ. Les tenants de la lettre de la Bible (lecture au premier niveau) n’accordent que quelques millénaires d’existence à la Terre, donc Adam et Ève peuvent être au début de cette Manifestation.
S’il s’agissait de l’essence de l’humain existant depuis l’origine, comment cette essence, totalement divine, pourrait-elle être tentée’ Seul ce qui provient des Ministres peut être vicié ou vicieux, pas ce qui provient directement du Divin, comme centre le psychique.
Les initiés et les mystiques de toujours ont appris que “Dieu” n’est pas un sadique, un jaloux, puisque c’est la Force, le Souffle, la Mère donc, qui émane les Ministres. L’Amour divin a donc placé au centre de chaque être un psychique pour miner de l’intérieur la Manifestation pécheresse. Ce psychique a reçu pour mission de reconquérir toute la Manifestation afin que les Ministres disparaissent ou se convertissent: après tout, ils incarnent les quatre grands Pouvoirs de la Mère suprême: Conscience-Béatitude-Vérité-Vie.
Selon la réflexion des Sages non alignés, selon les données de la Tradition, le péché originel est bien le péché de l’origine de la Manifestation, mais l’être humain n’en est pas responsable: il n’est qu’une créature.
Cette créature est libre de retrouver la Lumière et l’immortalité ou de s’éteindre, tandis que le Principe divin (le psychique) en elle recommence, pendant des millénaires, dans de nouveaux corps, pour réveiller la créature inconsciente de sa divine origine, de sa divine essence.
Malgré “le péché des origines”, l’homme initié tentera l’immortalité, celle de son corps physique; il commencera par reconquérir pied à pied la Manifestation en grignotant, à petits ou à grands coups selon ses moyens, l’empire du Démiurge, fût-il multiplié par quatre pour être encore plus efficace.
À l’image de qui’
En essence, l’homme est divin: toute “substance” vient en effet de l’Absolu, qui a émané tout ce qui est; en existence, l’homme a été modelé par l’Autre. Quelle est la part de chacun des “Créateurs”? Faut-il fuir la matière pour renier l’héritage du Seigneur des Mondes’ Ces questions feront l’objet d’un autre article.
Incarnations – Émanations
Les Manichéens connaissaient déjà d’autres Incarnations que celle du Christ, alors que les chrétiens, après quelques siècles d’endoctrinement, ne reconnaissaient plus qu’une seule Incarnation et qu’aujourd’hui il est “normal” d’accepter que “Dieu” soit descendu dans UN corps, UNE seule fois, les autres religions n’étant que ramassis de légendes.
Les Manichéens enseignement que ces Incarnations sont des manifestations du Noûs, que les textes modernes traduisent par Intelligence, alors qu’il s’agit du Principe par opposition à la Réalisation. Il s’agit du Seigneur (ishvara), par opposition à la Mère (shakti). Nous ne pouvons entrer dans le détail sans alourdir l’article.
La Tradition enseigne que l’Absolu émane des Incarnations directement reliées à Lui; la Tradition de l’Inde parle alors d’avatara. Elle a retenu un certain nombre de Personnages illustres, dont nous ne citerons que les plus connus de l’Occident: Krishna, Buddha, Jésus-Christ, etc.
L’Absolu délègue également ses Pouvoirs aux dieux, qui émanent à leur tour des Incarnations à leur image: Pythagore, Apollonius de Tyane, etc.
Mais les Ministres aussi émanent des Incarnations, sur les différentes strates de la Manifestation. Selon le niveau, il s’agit de titans, de démons, de larves, etc. En sanskrit: asura, rakshasa, pishaca, etc.
Ce sujet particulier exigerait un autre article pour être traité en détail.
Rester dans le Monde
Pour la Tradition, il n’est pas question de fuir le Monde modelé par l’Adversaire (ou les Ministres) mais bien de le noyauter, de l’illuminer, de lui rendre sa pureté essentielle (participer à l’Évolution vers la spiritualisation).
Relisons les Écritures chrétiennes.
Jésus invoque le Père et médite à haute voix:
“Je leur ai donné ta parole (logon) et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde (kosmon) , comme je ne suis pas du monde. Je ne te demande pas de les ôter du monde (kosmon), mais de les garder du Mauvais (ponérou). Ils ne sont pas du monde comme je ne suis pas du monde. […] Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les envoie dans le monde.” (Jn XVII, 14-18)
Que signifie “je leur ai donné ta parole”? Ce logos n’est pas la parole au sens de “donner sa parole d’honneur”, comme garantie. Que vient faire “la parole de Dieu”? Pourquoi ne faudrait-il pas lire Logos, la raison divine, le Verbe divin’
Chacun cite le début de l’évangile de Jean:
“Au commencement était le Verbe (logos) et le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu.”
Un peu plus loin
“Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire.”
Il s’agit bien du même Logos! Pourquoi traduire par Verbe dans un cas et parole (minuscule) dans un autre’ Le texte grec n’utilise pas de majuscule pour distinguer ce Verbe de la parole.
Le premier sens de poneros, a, on, est “qui est dans le peine, qui souffre, malheureux, infortuné”. Le second sens est bien “mauvais, méchant, pervers”.
La Bible retient “mauvais”, donc Démon. Pourquoi ne faudrait-il pas retenir le premier sens’ Certes, l’homme souffre du fait de l’Adversaire, mais peut-être faudrait-il songer à l’autre interprétation: “de les garder de la souffrance”.
Dans tous les cas, il est hors de question de retirer “le sel de la terre”, de fuir dans le Royaume de Lumière. Les Illuminés doivent rester “dans le monde”. Se retirer “du monde” est donc un blasphème ou, à tout le moins, une désobéissance.
La Tradition parle de désordre cosmique (d’où est né un certain dualisme tardif et mal compris). De ce côté de la planète, la Tradition juive a parfaitement conservé cette Connaissance:
“Après le bris des vases intervient la dernière phase du processus théogonique, celui du Tiqqûn, de la réparation ou de la restauration du monde cassé.” (p. 116)
“Le Tiqqûn des mondes n’est cependant pas mené à son terme par les soins de l’Émanateur. L’un des effets du bris des vases [Tsimtsûm ] a été de faire descendre chacun des mondes plus bas que le lieu qui lui était assigné à l’origine. En vertu de quoi le monde de l’Asiyyah qui devait être un monde purement spirituel fut dégradé, se mêla à la partie inférieure du monde des Kelippot et avec la matière physique qui le domine. La tâche dévolue à l’homme est précisément de restaurer le monde de l’Assiyyah en son lieu purement spirituel, de le séparer entièrement du monde des écorces, en rassemblant les parcelles de sainteté et d’établir enfin une communication de chaque créature avec le divin que rien ne pourra interrompre.” (pp. 116-117)
(Roland Goetschel, La Kabbale, QSJ 1105, P.U.F, 1989)
Point microscopique, simple atome au sein de l’immense machine cosmique, l’homme ne peut empoigner la Manifestation et l’arracher aux Ministres infiniment plus grands et plus puissants que lui. Catalyseur, son appartenance consciente à la Lumière peut illuminer par contagion toute la Manifestation: à travers lui, la Suprême Lumière descend et se répand. De simple jouet du Prince Noir, il devient un instrument du Divin, un canal de la Vérité.