L’ Union
ou
Le pourquoi des ciels rougeâtres
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A l’apogée des cieux, là où commencent et finissent les espérances, ils se rapprochèrent encore un peu. Leurs ombres s’allongeaient jusqu’à recouvrir tout l’univers.
Ils étaient là, tous les deux.
Un souffle de douceur et une suffocation de feu se mélangeaient dans un tourbillon de puissance, une puissance suprême, un rayonnement, réunis au solstice de l’éternel.
Dans sa blancheur aveuglante, presque insoutenable, du haut d’un panthéon mystique, le premier commença à parler. Omnipotent, ses mots flottaient sur un nuage de clairvoyance et de bonté : il voulait charmer son fils, présent à ses côtés, son tout premier fils, prostré dans une glaciale immobilité.
« Des tableaux célestes chaque soir renouvelés, des peintures de ciel dédiées aux couleurs de la vie, le calme généreux et profond d’une pluie d’étoiles, un soleil qui se perd sous les flots pour mieux renaître, imbibé du sel des océans, une obscurité verdâtre pour la rosée des sous-bois, des senteurs matinales dans la pureté de l’oxygène, une brise chaude et douce pour l’éveil des sens, un bien-être doré pour le bonheur de vivre… »
Des yeux rouges s’entrouvrirent alors, laissant transparaître des pupilles profondes et menaçantes. L’émotion première était passée. La proximité de son père l’avait quelque peu ébranlé, le souffle de fraîcheur bienfaisante soulevait ses longs poils. Mais la haine le fit remuer timidement dans sa pesante puanteur. Un léger sourire fit couler un peu de sang de ses lèvres putrides. Après un râle pestilentiel, il répondit :
« Je foudroie ton ciel en vomissant la tempête, j’efface de mes griffes tous les spectres lumineux pour faire honneur à la mort et à la souffrance. Je crache pour soulever les raz de marée et je souffle des typhons de destruction. J’écartèle la nuit par des éclairs dédiés à ma fureur. Là où sont les fleuves, je répands la pluie et la misère, là où est le désert, j’assèche et je brûle. Je fais miens ton soleil et les nuages ! »
La déception du père faisait briller ses yeux humides. Mais il était toujours aussi impressionnant.
« Tu ne fais que détourner mes créations, et ce faisant, tu veux t’emparer de ma toute-puissance. – Le sourire du sombre fils était déjà plus franc – Le soleil est source de vie, il fait naître les herbes et les fruits, et tu le rends implacable et mortel. J’abreuve les terres de caresses de pluie, et tu emportes les sols sous des déchaînements de flots. »
Puis, le silence se fit quelques instants, le père scrutait les horizons de sa toute conscience alors que le fils jouait avec sa queue d’un air détaché, plein de dédain et de mépris.
« J’ai de l’espoir. » – reprit le père.
« Moi le vide et la déception. » – gémit Méphisto l’obscur.
« J’ai créé le calme, la sérénité et la force de la sagesse. »
« Moi la fougue, le désordre et la précipitation, source de tragédie et d’équivoque. »
« J’ai créé l’amitié. » – La voix du tout-puissant se faisait plus forte.
« Moi, – dit doucement le fils – la guerre et la torture. »
« J’ai créé la volonté. »
« Moi la résignation et l’ambition, source d’avidité. »
« J’ai créé la fantaisie et le rire. »
« Moi les pleurs et la conformité. »
« J’ai créé le rêve. »
« Et moi la froideur insoutenable de la réalité. »
« J’ai créé l’égalité. »
« c’est faux, père, tout dans ton monde n’est que difformité, injustice et… »
Le père se leva, menaçant, en pointant son doigt vers le visage corné ; il dit alors, en martelant chacune de ses paroles :
« Je t’interdis, oiseau du mal, d’insinuer que j’ai pu vouer un seul instant ma puissance aux fontaines de l’erreur, ma création n’est que bonté. »
« Tu m’as créé… »
Les yeux rouges étaient perçants et maléfiques, il était en cet instant l’égal du père et il le savait.
Le vieil homme était fatigué et il aurait voulu annihiler tout ce potentiel malin face à lui, mais il n’en avait plus la force. Il se rassit donc, laissant passer quelques fractions d’éternité. Sous leurs pieds, les siècles passaient et les générations humaines défilaient, sans rien changer à leur nature.
Puis, Dieu entrouvrit ses lèvres :
« J’ai créé l’Amour. »
Le malin enchaîna aussitôt, comme s’il avait pu deviner ce que son père allait dire.
« Moi la souffrance et la violence folle des sentiments. Moi, j’ai créé la haine et la jalousie, le désespoir et les saignements, j’ai créé l’irréparable et la fatalité, le désoeuvrement et la solitude, la peur et l’incertitude : c’est moi, moi qui règne sur le monde et l’univers ! »
Un long rire traversa le ciel, synonyme d’orage pour les humains.
« Tu n’es rien, – répondit enfin le père – sans moi tu n’existes pas, en cela je serai toujours ton maître, à tout jamais. Car je suis la vie et mieux vaut la souffrance au vide, mieux vaut les larmes à l’indifférence, je fais miennes tes armes : je les retourne contre toi. Et tes ciels coupés d’éclairs deviennent beaux aux yeux des coeurs sensibles, tes guerres font naître la joie de la délivrance et de la paix, tes souffrances font jaillir la guérison et les larmes de soulagement, tes dévastations font naître mes havres de volupté, le calme après la tempête… En vérité, je serai toujours victorieux… »
Le diable se leva alors, ne supportant pas de se voir sermonné, dominé, acculé, et dans un geste d’impatience il demanda :
« Pourquoi m’as-tu fais venir, père ? »
Il était furieux, et la haine de son regard se répandait en une chaleur infâme qui soulevait des poussières de ciel.
« Je lis dans ton regard abject que c’était bien inutile, mon fils. Je voulais… »
Il hésita un long moment, laps infini pendant lequel Lucifer avança vers lui, approchant ses yeux rouges, ses griffes, sa fourche du visage de son père. La puanteur était plus forte, une menace terrible planait sur l’équilibre de notre monde, c’était l’an de grâce 1999, le tout-puissant hésitait… Le malin se rapprochait encore, encore…
La fourche s’éleva dans les cieux, ses pointes sacrilèges s’apprêtant à s’abattre sur la nuque offerte de son père.
Dans un geste d’une rapidité inconcevable, le père saisit le cou de la bête entre ses doigts, pour qu’elle s’agenouille, ce qu’elle fit, lentement mais inexorablement.
Le tout-puissant dit :
« Je voulais unir nos deux âmes, je voulais créer entre le bien et le mal une parfaite symbiose, afin que pour toujours nous ne fassions plus qu’un. Mais c’est bien inutile, je l’ai déjà fait… »
« Que… Quoi ? » – articula péniblement le Diable.
« Je nous ai déjà réuni au coeur de ma création la plus parfaite :
L’HOMME ».
Histoire à faire réfléchir ! J’ai bien aimé lire cette nouvelle et vous’
Rafraichissante n’est ce pas’ Elle a le mérite de nous faire comprendre
la dualité.Bonne lecture…
Amicalement
DIANE